Le pari aura été de construire ensemble et à distance, lors du 1er confinement national de 2020, une véritable pièce de théâtre où les grands auteurs et dramaturges sont à l’ honneur, et où chaque acteur a pu inventer par l’écriture et les échanges avec ses partenaires, un parcours de vie imaginaire propre à chaque grande figure de personnage, dont il était l’incarnation …

Lieu : Théâtre du Gouvernail

Espace : 
La scène 
/ Porte rue 
/ Les coulisses 
/ Le public 


Mise en scène : Cécile Sanz de Alba

Distribution  par ordre d’apparition en scène :

4 : Hamlet 

N° 3 : Don Juan

N° 2 : La Guêpe

N°1: Nina 

N°5 : Lady M

N° 6 : L ’auteur- Le souffleur

Les spectateurs se placent dans la salle. Ils rentrent dans une semi-pénombre.

L’auteur se mêle au public qui entre et s’assoit sur les marches.

… la lumière se rallume en scène.

N°4 est déjà en scène. Il commence à réciter                

N° 4 : Être ou n’être pas. C’est la question. Est-il plus noble pour une âme de souffrir les flèches ou les coups d’une atroce fortune, ou de prendre les armes contre une mer de troubles et de leur faire front, et d’y mettre fin ? Mourir… dormir, rien de plus… 

 (A part )  Non, non j’en fais trop! … plus sobre ! J’ai le trac !

(le déclinant clown) “ Ne pas être ici, mais être là bas,…être là où l’on n’ est pas…ou ne pas être là où l’on est !!    STOP MUSIQUE

Et La lumière s’allume dans la salle. N°4  aperçoit le public et s’interrompt étonné,

Merde, … heu, … non pardon …  je répétais mon texte. Et oui ! Je démarre fort ce matin : Se lever en prononçant une phrase définitive ou une question essentielle au saut du lit, ça vous donne du péplum pour toute la journée !

Et en plus, je suis en train de vous parler ! Vous savez qu’ au théâtre, le public est le quatrième mur.  Les acteurs font comme s’il n’existait pas quand ils jouent. Mais voilà,  j’ai complètement rompu la magie!

(N°3  arrive à son tour par la coulisse pendant la réplique suivante, en retrait,  il l’écoute soliloquer, un peu étonné.)

“Mourir.., dormir _ Dormir! Rêver peut-être ! Ah, c’est l’obstacle ! Car l’anxiété des rêves qui viendront dans ce sommeil des morts, quand nous aurons repoussé loin de nous le tumulte de vivre, … “ (Il reste en suspens)  La mort paraît belle quand Shakespeare en parle… (Soupir) J’ai oublié la suite. Ça fait tellement longtemps que le texte se mélange dans mes souvenirs. (Regardant vers régie ) Monsieur le régisseur, pouvez- vous  éteindre côté public, Merci  !  (Il reprend sa marche et sa récitation)  “Errant et sans dessein je cours dans ce palais.  Ah ! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ?”

N°3: (applaudit 3 fois et s’avançant ) Salut ! … Juan , enchanté !

N°4 – Ah  bonjour, vous êtes l’auteur sans doute ?

N°3 :- Ah non pas du tout ! Un  acteur.  C’est bien ici pour le… casting?”

N°4: (d’un ton sec) Non, c’est pour une lecture.

N°3 : Ah bon !  parce qu’à  un moment j’ai vraiment cru que vous étiez en train d’auditionner   ( au public très grand seigneur)D’ailleurs Monsieurs-dames, Bonjour  !

N° 4:  J’étais pas mauvais,  non?

N°3: ( souriant) Si vous le dites ! … Vous savez, vous, ce que l’on va jouer ce soir parce que moi, on ne m’a pas donné de texte, vous en avez un vous, de texte?

N°4: Pas l’ombre d’une ligne…,

N°3 : hah!…et donc euh….ce serait un spectacle d’impro?

N°4 : Quand bien même … On devrait bien s’en sortir tous ensemble.

N°3 :-Oui ensemble, ou séparément! Rien de tel pour révéler son talent : sans texte; plus de filet, la page blanche, le funambule au dessus du vide : “êeetre ou ne pas êeeeeetreuuhh” telle est la questionnn du théatreuuh claasique…”

N° 4:-Arrêtez! c’est n’importe quoi ! Singer l’un des plus grands auteurs de tous les temps, ça suffit ! N’essayez pas de me dégouter des belles lettres avec votre égo et vos singeries! vraiment… !”

N°3:-”Doucement l’ami, on se calme, hé! ça a plutôt marché! Voyez, on est déjà en train de jouer une scène plutôt vivante là!”(condescendant)  C’était de l’impro,  bravo!

N° 4 :-Un peu d’humilité !  Sans texte, on n’est pas grand chose nous autres acteurs.

N°3:-Et justement, on sera combien?

N° 4:– Pardon?

N°3:-Dans la pièce! C’est une pièce à combien de personnages?

N° 4: Qu’est ce que j’en sais moi !

N°2 Entre en scène par jardin (fausse entrée X2 comme radio-commandée)

N°2 :  Ah, c’est ici.  Désolée pour le retard, je me suis perdue en visitant.  C’est drôle de  l’intérieur le théâtre semble petit.

N°3 _(charmeur)  Vous avez de la chance, l’auteur aussi est en retard. Bon,  Moi j’ai besoin d’un café, vous avez vu un distributeur en visitant le théâtre ?

N°2 : Non, à part de la poussière et de vieux meubles, la seule chose intéressante c’est la momie du souffleur…

N° 4  et N°3  la  regardent  bizarrement.

N°2 : OK …  C’était une plaisanterie pour détendre l’atmosphère !  (N°2 très à l’aise, fait le tour de la scène en plaisantant) Eh ben ils ne se sont pas foulés sur le décor, les rideaux sont dans un triste état,  encore une production à petit budget ! Et pas l’ombre d’un café pour nous accueillir…(de derrière très fort) Enfin, tant qu’ils ont de quoi payer les comédiens… (Marque un temps d’arrêt en apercevant le public mais reste très à l’aise) OH ! Je ne savais pas que c’était en public, bonjour tout le monde ! (Revenant à ses deux partenaires) Donc, on va jouer ensemble…

N°3 – Il semblerait.

N°2 – Super ! En tout cas, ça fait plaisir de retrouver les planches !

N° 4 Depuis le temps qu’on attendait ça… On n’y croyait plus.

N°3 – Tous les théâtres fermés pendant sept ans…

N° 4 ( soudain très inspiré) “Comme si le soleil se levait enfin après une nuit interminable…”

Les autres sont un peu surpris par cette envolée lyrique.

N°2 – Oui… En tous cas, ça sent un peu le renfermé, ici, non ? 

N°3 – Ils auraient pu passer un coup de balai et aérer un peu.

N°2 – D’ici à ce qu’on trouve des cadavres dans les loges et un squelette dans le trou du souffleur…

Bref moment d’inquiétude générale.

N°3 (Léger) – Ça existe encore, les souffleurs ?

N° 4– Qu’est-ce qu’ils pourraient bien nous souffler… De toute façon, on n’a pas de texte.

Un temps.

N°2 – Vous avez déjà participé à une lecture en public, vous ?

N° 3 – Non, c’est plutôt…inhabituel.

N°4 – La moindre des choses aurait été de nous prévenir…

N°2 – Question de rentabilité à mon avis, après une fermeture de sept ans, ils ne peuvent plus se permettre d’attendre qu’un spectacle soit entièrement finalisé pour faire venir le public…

N°3 – Plus rien ne me surprend, vous verrez qu’un jour, on remplacera les comédiens sur scène par des robots avec des voix de synthèse.

N° 4Ça réglerait définitivement le problème de l’intermittence.

N°2 – Et quand on aura remplacé les spectateurs par des webcams, ça règlera aussi le problème du confinement.

N°4 – Plus de comédiens, plus de spectateurs… Seulement des personnages désincarnés jouant devant des caméras de surveillance.

N°1  arrive de jardin, elle se racle la gorge.

N°1 (Timide)  : Bonjour, excusez moi de vous interrompre, je viens pour l’audition

N° 4 : (Ironique) – Moi qui  pensait que c’était pour une lecture.

N°3 : – Lecture ou audition, c’est pareil on est là pour jouer !

N°2 : (coquette) – En parlant de ça , je commence à être fatiguée d’attendre, vous pourriez pas me passer une chaise.

N° 4 : – Quelle chaise ? Elles sont invisibles.

N°1 : Que voulez-vous dire?

N°2 : – Il y en a un qui se pose là… en terme d’invisibilité …

N ° 4 :(anxieux)  – De qui voulez-vous parlez ?

N°3 : – Du metteur en scène pardi. Ca fait un quart d’heure qu’on l’attend .

N°4 : – On a bien attendu 7 ans,  alors après tout,  un petit quart d’heure , Pouf, une goutte d’eau!

N°1  C’est génial qu’une nouvelle pièce soit montée.

N°2 :  (pointe n°3  du doigt) Au fait j’ai l’impression de vous connaître.

N°3 :  Vous devez me confondre avec quelqu’un d’autre.

N°4 : –C’est vrai qu’avec ces masques qu’on a dû supporter pendant 7 ans, on a fini par oublier son propre visage. Alors celui des autres !

N°1 : – Nos visages ne sont plus que des masques.

N° 4 : –  Plus personne ne reconnaît personne.

N° 2 : –  Ça pourrait être le titre de la pièce !

N°3 : – A défaut d’un texte, nous avons déjà le titre.

N°1 :( avec angoisse)  Ah, il n’y a pas de texte !

N°5 entre en scène par cour lisant religieusement « l’histoire de Macbeth »

N°4 : – (soulagé) Ah, le voilà notre texte ! Vous êtes l’auteur ?

N° 5 : – Non. (montrant son livre ) C’est mon porte bonheur. Je ne fais aucune audition sans lui.

N° 3 : –  Ah, vous voyez c’est une audition.

N°2 : On s’en tape. Allez enchaînons !

N° 3 :  – … Je veux bien, moi… Mes amis,  échangeons sur nos vies , ça nous mettra dans le bain.  … Sept ans ont passé, qu’avez vous fait Messieurs dames ?

N°2 : – Reconversion, pas le choix. Tous les théâtres  transformés en commerce essentiel, pas de publics à divertir, la mort de l’acteur.

N° 5 : j’ai la nostalgie des troupes d’antan avec leurs roulottes colorées, les montreurs d’ours et les cracheurs de feu …

N°1: – Des centaines d’acteurs obligés de changer de métier

N°2: – Alors qu’évidemment ils ne savent rien faire.

N°3 : (prend  à parti le public) : – Cher public, désolé de vous faire perdre votre temps avec notre spectacle complètement dispensable.

N° 4 :  Pour ne pas dire inessentiel…!

1 temps

N°2: (tout haut)  Moi je commence à ne plus savoir quoi dire!

N°1 : –Moi, je ne sais pas si je saurai  encore … (Rêveuse ) Jouer sur scène, ça fait tellement longtemps…

1 temps. Flottement …

N° 3 : – Jouer la comédie c’est comme faire l’amour ça ne s’oublie pas.

N° 1  – Faire l’amour ?

N° 2 – Ou faire du vélo, si vous préférez…

N° 5 – Je n’ai jamais fait de vélo.

N° 4 – Vous ne savez pas faire de vélo ?

N° 5 – Non… et vous ?

Une respiration

N° 2 – C’est très rare les pièces où on fait du vélo sur scène.

N° 1 – Et l’amour, encore moins.

N°  2– En tout cas, je n’en ai jamais vues…

N°1 – De toute façon, après autant d’années de distanciation sociale, on ne se remet pas du jour au lendemain à s’étreindre ou pire, à s’embrasser. Ce serait vraiment déplacé, voire indécent. Je pense que personne ne souhaite assister à ça.

2(La moquant)  L’amour : un concept, une pure abstraction … comme la liberté.

N° 5– C’est vrai. Avec mon mari, on a fait chambre à part pendant toutes ces années, comme il était préconisé pour les couples. Et bien sûr, interdiction de se toucher, ou même de s’approcher. Au début, on se parlait de loin, puis plus du tout. On se regardait de moins en moins, tout juste si on se croisait… A la fin, on ne se reconnaissait même plus.

N° 4 – Et maintenant ?

N° 5– (mystérieuse) Rien n’a vraiment changé…

N° 3 – Mais maintenant les théâtres ré-ouvrent: c’est bien que tout ça, c’est derrière nous, non ? On est enfin dans le monde d’après !

N° 1 – C’est possible, mais comment en être certains ? On est peut-être encore simplement dans une période de transition…

N° 5– Ce ne serait pas la première fois. Jusqu’à présent, tous les déconfinements ont abouti à un reconfinement, inexorablement, comme un cycle sans fin.

N° 4 – Indécision et solitude, oui c’est le pire…Avant tout ça, j’avais encore l’espoir de rencontrer quelqu’un.

N° 2– (légère) Triste époque… Moi j’ai bien essayé de me rapprocher de mon voisin  de palier. Même âge, même adresse, ça devait fonctionner ! … Mais non. Il faut croire que ce n’était pas le bon moment. 

N° 1: Moi, mon mari est parti avec la voisine justement. Au bout d’un an de confinement, vous vous rendez compte ? Du jour au lendemain, sans crier gare, il disparaît… Et j’ai passé les 7 années suivantes à les entendre, de l’autre côté du mur.

N° 5 Quelle horreur !

N° 3– Enfin, tout cela est terminé maintenant, vous pouvez arrêter de vous lamenter. On peut recommencer à se rencontrer, à s’aimer…

N° 1 – Certes, mais c’est plus facile à dire qu’à faire, je ne sais même plus comment m’y prendre…

4  Moi non plus.

3– Et vous ?

2 – Moi ? Je n’ai pas perdu la main mais j’ai d’autres priorités en ce moment.

N° 3– Ah bon ?

2 –(coquine ) Oui, oui .

N° 3  – Si les plus belles pièces de théâtre parlent d’amour, cette « chose sainte et sublime »,  L’ Art doit nous faire résister à la morosité ambiante, non ? ! Sinon, à quoi bon …

N° 5 – De toute façon, on jouera ce qu’on nous demande de jouer, voilà tout, comme de simples marionnettes.                                                                                                                                                                  
1 – J’espère qu’on ne devra pas s’approcher trop près les uns des autres quand même…

5 – Oui cela va de soi, nous devons absolument respecter les règles d’hygiène et de distanciation physique.

N° 3– Mais enfin, vous vous entendez ? On s’en fout de toutes ces règles ! Tenez, écoutez-ça,  ( il claque des doigts- musique Flamingoes ) ça va vous rafraîchir la mémoire , sentez les battements de votre cœur s’accélérer, la chaleur qui vous envahit, le désir qui refait surface , plus rien ne compte à part les corps, dansez  …

Il se met à chanter sur la chanson, tout en forçant les comédiens à se rapprocher : ils s’exécutent l’air gêné, puis ont l’air de se prendre au jeu. Mais quand la musique s’arrête, ils s’écartent précipitamment, sortent un flacon de gel hydroalcoolique et se désinfectent les mains frénétiquement.

Pause … les 5 sont désorientés…

N° 1– Ça fait déjà combien de temps que c’est commencé ?

N° 5 ( très inquiète) Ah parce que c’est déjà commencé ?

N° 1 – Non, je veux dire… ça fait combien de temps qu’on est là ?

N° 2 ( joueuse) Je ne sais pas. Je dirais… Toute la vie ?

N° 3 – (Plus bas, en désignant discrètement le public) … Parce qu’ Ils vont finir par s’impatienter…

N°4 trouve soudain  un billet d’entrée payant par terre

N° 4 -( stupéfait) Tiens, qu’est-ce-que c’est ? on dirait …ça alors, c’est un ticket d’entrée !!! C’est à quelqu’un ? (au public ) Bien sûr suis-je bête !

N°2 – Mais c’est la date d’aujourd’hui !!!

N°3- Diantre ! … ils attendent une représentation.

N° 5 On est dans un cauchemar !

N°2 – Au secours !!

N°1 – Je me sens mal,  j’ai besoin de m’asseoir

N°4 – On voudrait bien mais y’a pas de chaises !

N° 2(Reculant vers les coulisses) OK, je vous laisse,  je vais faire un petit tour , moi …

N°5 – Vous n’allez pas nous planter ici !

N° 4 – (Désignant le public) Avec eux…

N° 5 – “C’est vrai que… si en plus ils ont payé”.

N°2( bravache -s’approchant au public)  Vous êtes donc venu pour un spectacle ?

N° 5 (sévère) Ils ne vont pas vous répondre , c’est tabou, on ne parle pas au public !!!

N°4 ( la tirant par le bras ) – On est mal !!

N° 1 – On est très très mal !!!

N°4 – Enfin, c’est pas le moment de lâcher, faut rester solidaire, on doit leur présenter quelque chose, on est dans la même merde là !!!

N°2 –Quelque chose à leur jouer, mais quoi ?

N°3 – Bof ! Jouer la comédie… c’est comme faire l’amour, ça ne s’oublie pas.

N° 4 -…  Cette phrase ? …J’ai déjà entendu cette réplique, non ?”

N°3  – Ou savoir nager , si vous préférez…

N°1 – Pourquoi devrait-on  savoir nager ?

N° 4 – Je ne sais pas… (faisant référence à la situation ) Pour ne pas se noyer ? …

N° 2 – Vous savez nager, vous ?

N° 4  préfère ne pas répondre.

N°  2 : – Ouais ! En tous cas,  après 7 ans, il va nous falloir reprendre nos marques !

N°  3 : – Parle pour toi.

N° 4 : – On se tutoie maintenant ?

N° 3 : – Si on parle cul, c’est un minimum. Non ?

N°1 :(choquée)  Hein ? – Vous avez fait une rencontre alors ?

N°3    : – Un paquet de meuf.  La séduction, c’est mon sport préféré.

N° 5  : – Vous avez enfreint les règles ? Vous les avez rencontrés ?

N°  3  : – Bien sûr. Je ne sais pas si t’es au courant mais pour le sexe, il faut être dans la même pièce.

N°  1 : –  Moi aussi, j’ai rencontré quelqu’un. On se parle maintenant depuis 5 ans. On ne s’est jamais vu. Mais, on a déjà tellement partagé.

N°  2 : – Vous allez vous rencontrer maintenant, alors ?

N°1 : – Non, … peut-être. Je ne sais pas.  J’ai peur que le charme se brise.

N° 4  : –  Tu n’as qu’à rester 7 ans de plus enfermé.

N° 2  : (elle rit) J’aurai bien  tenté moi !  (hypocrite) si je n’étais pas mariée … bien sûr.

N°  1 : – ( perdue) Le vrai monde, je ne suis plus sûr de savoir ce que c’est….

N°6 (Descendant sur scène, avec force  ): – Je pense que vous vivez une belle histoire d’amour Madame.(Il porte une robe de chambre et des charentaises)

Commentaires Guêpe «  il habite ici !!!? »

N° 4 :  il est en pijama ? !! … Vous êtes ?

N°6:  Et bien je suis le souffleur.

N° 5  – Pourquoi le souffleur monte sur scène ? Ce n’est pas dans les règles, il me semble.

N°3  –(Ironique)  Il  veut nous parler d’amour.

N°6:  Vous croyez qu’il n’y a que les acteurs  sous les projecteurs qui ont le droit d’exister. Que le pauvre souffleur caché n’a rien à dire par lui-même…Oui,  je peux parler d’amour.

1 temps

N° 3  – Et ?

N°6: … J’ai vécu dix merveilleuses années. J’étais fou amoureux. … Mais ça c’est fini tragiquement.

N° 3 : – Ah !

N° 2   : – Une tromperie ?

N° 4 : – Elle est morte ?

N°5  : – Assassinée ?

N°6  : – Non, elle m’a quitté du jour au lendemain. Elle a pris sa valise et ma fille. Elle a dit qu’elle n’avait plus aucun désir pour moi. Qu’elle ne supportait plus ma tête. Je ne comprends pas ce que j’ai fait de mal.

N° 3 : (ironique) Digne d’une tragédie antique, en effet.

N°2 sort discrètement à cour en reculant pendant la réplique suivante

N° 5- Je vous rappelle que vous n’avez rien à faire sur scène. Je vous prierais, poliment, de descendre.

N° 3 : – Elle n’a pas tort. Surtout, si c’est pour vous répandre en public !

N° 1 :( véhémente à N°3) Soyez plus respectueux. Vous ne savez même pas ce que c’est une vraie histoire d’amour.

N° 3 : –  C’est faux ! … j’ai cette  sensation que j’ai aimé passionnément.(léger) Je ne m’en souviens juste plus.

N° 4 : – Si vous le dites.

N° 3 : (solemnel)   Oui, je le dis. J’ai aimé.

N° 1 : – Moi,  j’aime encore.

N°6 – Moi, j’ai le cœur brisé.

1 temps

N°2 qui  s’était éclipsée , revient, blanche comme un linge de jardin.

N° 3 : “ Tu as l’air d’avoir vu  un fantôme ! ….  et bien ?

N° 5 :  Qu’est ce qui se passe ? …Où tu étais d’abord ?”

N° 2 ( élocution lente, comme hagarde) “je cherchais la porte de sortie, à m’en aller… et…et sur un des murs j’ai trouvé ça …

Elle déroule une affiche de spectacle

N°4 : Une affiche ! … Avec la date d’aujourd’hui , dans ce théâtre !”

N°1 ( Horrifiée)  Et Regardez le titre !

Tous Ensemble : «  SANS TITRE ! »

N°6 (avec orgueil) :  C’est le titre de la pièce !

N° 5 :  … de la pièce qu’on est censé jouer ? ?!!  »

N° 3 :   Hein! … c’est une blague ? »

N°6 ( Très calme ) « Aucunement … …Nous sommes sans aucun doute enfermés dans ce théâtre jusqu’à la fin de la représentation ! … (osant à peine regarder le public) Avec EUX !

N°4    Si on ne trouve pas quelque chose à leur jouer, on va se faire lyncher.

N°2   J’ai l’impression qu’ils nous regardent déjà avec un drôle d’air …

N° 3 «  SANS TITRE !!!» ( Au public) Peut-être que parmi vous, quelqu’un a déjà vu la pièce et pourrait nous dire au moins comment ça se termine …

N° 1  ( Chuchotant)   Je vous rappelle qu’on ne peut pas leur parler, on doit faire comme s’ils n’étaient pas là … Vous savez le 4èmemur

N°  4  ( explosant- hurlant presque)  Mais tout ça on s’en fout !!!  On n’en a que faire des codes du théâtre,   le spectacle vivant, il est mort il y a 7 ans ! et nous …nous sommes  des morts vivants, voilà ce que nous sommes devenus !

N° 2 (criant plus fort que lui puis complètement déprimée) « Bon ! calmez vous, calmons nous,  allez improvisons ! …  Une idée ?

N° 3 (presque douloureux ) « Mais bien sûr , “ jouer la comédie c’est  comme faire l’amour, ça ne s’oublie pas “

 n° 2 (se rapprochant)  il faut dire qu’être enfermée si longtemps avec son époux, c’est un tue l’amour à petit feu…non ? Pas pour vous?

n° 5 (sur un ton moralisateur)  On ne compte plus le nombre de maris et de femmes infidèles pendant cette période !

n° 2 :  Ben oui, fallait bien ranimer le désir, aller voir ailleurs… (virevoltante, excitée tout à coup) Il faut dire que les règles du marivaudage se sont compliquées. Il  fallait être rusée ! Pimenter les choses, aller droit au but, pas le temps pour les préambules, allez hop hop hop! (Prends un acteur par la main ou par le col de force pour l’ embrasser) et retour à la casa comme si de rien n’était…(grand soupir, un peu dépitée, tout à coup) Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire tout de même !

N°6 :-​ Ranimer le désir , parfois il est trop tard…

N°5  Un couple c’est tenir face aux tempêtes, Rester malgré tout…être là encore et encore, l’un pour l’autre, ensemble.

N°2( exaltée) : L’amour,  l’acte le plus anti-sanitaire qui soit !! et même, l’acte libertaire par excellence!…Au diable les compromis fadasses, ( ensemble N°1 et 2) la routine,  la médiocrité !

N°6 –​ Au moins sur les planches il y aura toujours l’amour, intact, toujours ré animé, ses intrigues, ses passions…

N°2 –​ Ses maris rasoirs  et ses femmes volages comme chez… machin là …

N°6 :  Feydeau ?!!

N°5   ( avec mépris)  Ah oui alors ça…. !!

N°1 (Passionnée) Oui le théâtre transcende tout, nous fait supporter toutes nos petites misères !

N°2 :-Oh oui ! Un rôle ou une rencontre , mais pourvu qu’il se passe quelque chose, qu’on vive un peu quoi, et qu’on s’ennuie un peu moins ici bas…

Elle claque ses doigts, musique slow Flamingoes N2 et N3, N4 et N1 attirés comme 2 aimants dansent ensemble langoureusement quelques instants, N5 danse seule ?  N6 les regarde d’un drôle d’air.

N° 3 – Ah oui, tout de même, ça revient bien là… !

STOP FLAMINGOES

N° 4 : ( Se dégageant brusquement – prise de conscience)  Mais oui, “ce qui revient !” : on a déjà dansé sur cette musique! OH!  Qu’est ce que vous faites ! on est en boucle là , Hé on a déjà joué cette scène !!!

N°2 ( comme ensommeillée) Qu’est-ce qui nous arrive ?

N°1 ( à N°3)  Arrêtez de me tripoter vous !

N°3 :  Et si on était déjà en train de jouer la pièce sans le savoir”

N° 5  ( très excitée)  Victime d’une sorte de sortilège ?

N° 4 ( même musique s’envolant lyrique ) « Nous sommes fait de l’étoffe de nos rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil  …

Un enregistrement se met en route, on entend la voix de l’auteur qui récite un texte :  “Nos divertissements sont finis. Ces acteurs, j’eus soin de le dire, étaient tous des esprits : ils se sont dissipés dans l’air, dans l’air subtil. Tout de même que ce fantasme sans assises, les temples solennels et ce grand globe même avec tous ceux qui l’habitent, se dissoudront, s’évanouiront , tel ce spectacle incorporel*** sans laisser derrière eux ne fût-ce qu’un brouillard”

***Tout le monde s’avance vers N°6.

 N° 1 – Mais c’est votre voix ?

N° 3  – Vous êtes l’auteur ? Vous vous êtes bien moqué de nous, à nous faire tourner en rond dans ce théâtre.

L’auteur  – ( a du mal à avouer) Oui, je suis l’auteur. ( de mauvais poil) Je m’excuse pour tout ça.

N°2  – (le câlinant) Des petites cachotteries, tout cela,  rien de bien méchant.

N° 4 –  Bien sûr que si, il nous fait perdre notre temps à nous et à eux (montrant le public). Et la pièce vous l’avez, au moins ?

L’auteur  – Oui… Non pas vraiment. J’en ai une partie écrite dans ma tête.

N°4  –  Doit-on s’introduire dans les profondeurs de votre esprit pour récupérer nos répliques ?

L’auteur –  Je suis désolé. Ça fait 7 ans que je réfléchis, réfléchis et réfléchis encore, mais je n’arrive pas à avancer. Je pensais que la pièce ne se jouerait jamais ! Alors à quoi bon l’écrire?   Mon inspiration m’a quitté en même temps que ma famille.

N°2  -Mon pauvre. Ne soyez pas si désespéré.

N°1 – Être un auteur c’est si merveilleux. Vous devez avoir eu une vie palpitante. J’aurais tellement aimé être à votre place.

N°3(s’interposant ) Il y a d’autres façons d’avoir une vie palpitante, ma jolie demoiselle.

L’auteur (Regard courroucé à N3)   Mademoiselle, ma vie n’est pas palpitante du tout et  je n’éblouis  personne. Je suis un auteur raté. Le public, la critique, les écrivains, tout le monde se moquent de moi, même ma femme. Personne ne me pleurera si je disparaissais.

N°5( comme si elle lui jetait un sort)  Disparaissez, personne ne vous retient.

N°4 – Prenez votre revanche. Faites taire tous ceux qui se sont moqués.

N°3 -Ne devriez-vous pas plutôt jouir de la vie, en cueillir ses fruits juteux ?

N°2 – Oh oui, escalader des collines voluptueuses ?

L’auteur – Profiter de la vie ? J’en suis bien incapable. Ma vie n’est qu’une souffrance depuis qu’elle est partie.

N°5 – Si la mort vous appelle, je peux vous aider. J’ai en ma possession un poison que je tiens de sorcières.

L’auteur – Vous êtes complètement folle. Je ne crois pas en ces choses.

N°5 –Ce n’est que pour celui qui n’a jamais vécu que la mort est redoutable .(Montrant le flacon de gel hydro alcoolique)Le prendrez -vous ?

L’auteur hésite …

N°1 –  Ne faites pas ça !  (Essaye de le retenir)

N°3 se marre

N° 4   C’est un pleutre que nous avons là !

N°5 – Trop lâche pour même réussir sa propre scène de suicide !

N°3 (riant) Tout ceci m’enchante !!!. On aurait dû me dire qu’on était dans une comédie.

N°2  – (Se rapproche de lui). Moi je pense que vous avez beaucoup de talent, .. , il faut juste le chercher un peu.

N°1  – Arrêtez de le toucher comme ça.

N°2 – Eh allez donc c’est pas mon père !  Vous êtes jalouse ?

N°1 –  Oh ! laissez-moi tranquille…. Je suis une mouette …non ce n’est pas ça. Je suis une actrice.

L’auteur sort dans les coulisses en disant : « et moi, je ne suis RIEN ! »

N° 3  : ( S’esclaffant) On tombe dans l’absurde…

 On entend 2 coups et le 3ème est un coup de feu , Tous se figent,  Un grand boom ! l’auteur tombe,  ses bras dépassant sur la scène, Dans la panique quelqu’un crie

« Entracte ! » ils le ramènent sur scène et le raniment avec du faux whisky, l’auteur revient à la vie. Ce moment est improvisé.

L’ auteur ( en plein délire, chantant, comme soul  ) Moi, je suis tombé amoureux  de mon mur 

Tous (en  impro) : hein ??? (N°2 : la vie vaut la peine d’être vécue, mon bon monsieur !)

L’auteur :  Il y avait une femme derrière le mur de chez moi, les murs sont tellement fin qu’on entend tout , on a commencé à discuter puis à s’aimer et je l’ai invitée à venir me voir sur scène, j’espère qu’elle est dans le public . Coucou! Muse ! Inspiration ! si tu es là …         (Il pleurniche)

N° 5 : « ça suffit ! Arrêtez de jouer la victime ! Reprenez vous , vous êtes l’auteur et nous des comédiens, alors donnez nous des mots, écrivez nous un texte .

N° 4 : Qu’on puisse s’en sortir ! Qu’on aille jusqu’au bout et que le théâtre nous libère !!!

L’auteur ( très déprimé, en boucle )  : “il faut des formes nouvelles. des formes nouvelles, voilà ce qu’il faut, et, s’il n’y en a pas, alors, tant qu’à faire, plutôt rien.”

N°2  : Oh Là là !

L’auteur ( brandissant ses convictions, regain d’énergie, lyrique ) : “ Il faut peindre la vie non pas telle qu’elle est, ni telle qu’elle doit être, mais telle qu’elle se représente en rêve.”

N° 3 : Bon!  on est mal barré!

1 grand temps -Ils sont en statue autours de l’auteur.

N° 1 :  … Et si on commençait par se présenter ?

N°5 : Pour quoi faire ?”

N°1 :  pour voir, si dans nos vies, il y aurait quelque chose qu’on pourrait utiliser comme argument de pièce de théâtre ?

N° 2 : je vois … quelque chose qui crée un début de situation …

N° 1 :  de comédie ou de tragédie, peu importe !

N°3  : Une sorte de réunion des comédiens anonymes, quoi .

N° 4 :  Ok! … Qui commence ?

N°5 : Moi ….(1 temps ) Désolée j’ai un trou !

N° 2:  Comment pourriez-vous avoir un trou de mémoire,  puisqu’on n’a pas de texte ?

N° 4 : (sarcastique)  “On est au théâtre,  tout est faux…oui, à commencer par nous!

N° 1 : (angoissée) «  Pourquoi dites vous cela ?!! C’est affreux !  »

L’auteur : “Je n’ai pas grand chose à dire, …j’ai l’impression que je n’ai jamais quitté cet endroit, je n’ai aucun souvenir de ce que j’ai fait pendant 7 ans le vide total. “ 

Il boit une rasade de gel hydroalcoolique . Il le fait passer à tout le groupe: ils se partagent le gel hydro comme un faux cognac .

N3 :  Allez, je veux bien commencer,   C’est à vous que je m’adresse Mesdames; Votre regard est un appel, une invitation, que dis-je, une convocation ! Un sourire de vous et me voilà touché au plus profond de mon être, Quelle douce folie de laisser faire le génie des mots jusqu’à ce point de non retour  où vous me dites  : Viens, je suis à toi !  Hélas! dès qu’une d’entre vous me  dit oui, ce petit oui, qui est tout, je pense déjà à la fin….et j’ai envie de revivre ailleurs une nouvelle histoire…et ainsi de suite, sans trêve ! (froidement)  Comme il est cruel  de devoir courir sans cesse après de nouvelles conquêtes !

N2 : (pas à l’aise et étonnée): je vous comprends, mais ça a doit être fatiguant ! vous ne vous reposez  jamais …dans les bras d’une belle ??

N3 : (riant) Oooh vous voulez m’enfermer !  Mais ma chère, avec une femme aussi charmante que vous, je me sens déjà revivre !Sentez-vous cet élan qui nous gagne ? AAhh ce parfum qui est le vôtre !!… Serez-vous celle qui saura me faire aimer ?

N2 : (très troublée s’éloignant de lui ) … c’est vrai que.. que ca donne envie de…partir ailleurs, le grand large quoi….sur un bateau, le soleil…les corps qui tanguent, qui se rapprochent… (à part) qu’est-ce qui m’arrive ?

N1 : Arrêtez, Arrêtez cette mascarade ! Vos dialogues sonnent faux ! Que de mensonges !

N2 : Calme ! Ici il n’y a que des femmes et des hommes qui …font connaissance …et  se découvrent,  ( elle fixe 3)  c’est le Jeu de l’amour et du hasard.

N1 Qu’est-ce que vous y connaissez vous à l’amour, vous qui vous enflammez pour ce discours bien rodé mainte et mainte fois répété.  Où est la beauté ? ( très amère) L ’Amour ! est ce qu’une seule personne ici l’a connu ?

N3 ( enjôleur à Nina) L’amour se conjugue au pluriel, voilà tout, il est trop vaste et trop profond pour se limiter à une seule rencontre, aussi charmante soit-elle.

N5: Vous n’avez d’estime pour aucune des femmes que vous prétendez aimer. Celle-ci ,       (montrant Nina) vous l’aurez oubliée,  sitôt abandonnée : de la viande morte !

La guêpe tressaille  dit «  de la viande morte !!! et passe à cour, avant scène

N3 ( se défendant) Hé il n’y a pas  traîtrise ! Il y a marché : Le traître c’est celui qui feint de l’ignorer !  Enchainons  ! (derrière Nina, enjôleur ) Nous avons encore beaucoup de choses à nous dire !

N1: Laissez moi rêver ! Je préférerais être seule et garder intact le souvenir d’un amour perdu que d’avoir à  écouter vos mensonges.

la guêpe ( avec autorité) “ Et bien moi  j’aime les personnages indépendants et émancipés. Je me reconnais dans la femme moderne qui jongle entre sa vie familiale, professionnelle et sexuelle ! mais je rêve d’incarner une femme amoureuse, blessée, en proie au doute …

Nina – Je vous demande pardon mais je pense être la mieux placée pour jouer ce genre de rôle.

La guêpe Et pourquoi ça ? On peut bien jouer ce rôle chacune à notre manière.

Nina Certes… mais vous dégagez une telle assurance, une telle confiance en vous, je vous imagine mal en femme blessée, en proie au doute.

La guêpe : En voilà de beaux compliments !  ( sur le ton de la confidence) Tu voudrais bien m’expliquer pourquoi le rôle de la femme blessée te tient tant à coeur ?

Nina:  Je m’y reconnais.  Je me suis toujours sentie si seule, entre les tourments de l’amour et la crainte continuelle pour mon enfant…Et cet homme qui m’a tant blessée… Je le maudissais, je le haïssais mais à chaque minute j’avais conscience que mon âme était à jamais liée à lui. Ne plus l’aimer était au-dessus de mes forces… Oh je me sens ridicule de vous parler ainsi, vous n’êtes pas le genre de femme à vous laisser atteindre ainsi . Parfois, j’aimerais être comme ça moi aussi.

La guêpe :  Ridicule, non, mais moi c’est sûr que je ne pourrais pas.  Exposer son cœur au vent, le laisser devenir le jouet d’un homme, non, très peu pour moi. Ma mère était une jolie fermière follement amoureuse de son mari. Il la rendait malheureuse. Elle pleurait si souvent dans mes bras, moi sa fille de sept ans.  Je ne veux plus souffrir.  Je ne veux pas être ligotée, ni surtout commandée. Ce que je veux, c’est être libre et faire ce qui me plaît.

Nina : Je ne pourrais pas m’empêcher d’aimer même si je le voulais. Et même si c’est terrifiant de se savoir autant lié à l’autre, je ne me sens jamais aussi vivante que lorsque je peux m’abandonner complètement à quelqu’un. N’avez-vous jamais ressenti cela ?

La guêpe (Froidement) J’ai succombé une fois à l’amour. Mariée depuis moins d’un an, et m’ennuyant avec ce mari que je n’avais pas choisi, je perdis la tête pour un vil séducteur……. Ce fut un feu d’artifice passionnel qui prit fin avec mes larmes. La vie et l’amour sont des guerres et j’en serai plus jamais la victime.

Nina -Mais pardonnez-moi, quelque chose m’échappe : si vous tenez tant à être libre et indépendante, pourquoi vous êtes-vous mariée avec un homme que vous n’aimez pas ?

La guêpe – J’ai été vendu comme du bétail par ma famille tombée dans la décrépitude et la faillite . Ils ont pu se goinfrer à ma charge. Mes frères ont pu faire des études , alors que moi,  il ne me restait plus qu’à être une épouse soumise. Ce rôle-là, je ne l’ai pas accepté.

Nina (avec amertume) Mon père ne voulait pas que je devienne actrice, il disait que c’était la bohème ! Lui et ma belle-mère ne veulent plus entendre parler de moi. Ils ne me laissent même plus entrer chez eux, dans la maison où j’ai passé toute mon enfance… C’était la propriété de ma mère, qui est morte. C’est là que je suis née, au bord d’un lac, j’en connaissais la moindre petite ile.

La guêpe – Quelle cruauté !  Ça fait longtemps aussi que mon père et moi nous ne nous comprenons plus. (avec envie)  Tu viens d’une famille aisée ?

Nina Oui, mais mon père a légué toute la fortune que lui avait laissé ma mère à sa seconde femme. J’ai grandi dans un milieu privilégié, mais je ne pouvais me contenter de cette existence, je rêvais d’autre chose : d’une vie intéressante, lumineuse, pleine de sens…. Pas de cette vie ennuyeuse et insipide qui est le lot de tellement de gens, ils se ressemblent tous.

La guêpe – (s’exalte) Tu as tellement raison. A quoi bon vivre une vie ennuyeuse et insipide. Cette idée m’horrifie. Le vide et l’ennui m’effraient. Ils sont comme une mort. Voilà, mes chaînes, la peur du vide et de la souffrance. J’en frissonne. (se reprend)  …. Belle ironie pour une femme qui aspire à la liberté.

Nina – (en soupirant) Il me semble parfois que la liberté n’est qu’une douce illusion, surtout pour nous les femmes. Nous serons toujours dépendantes des hommes, d’une façon ou d’une autre, qu’on le veuille ou non. Toute cette hypocrisie, tous ces faux-semblants… Comment peut-on espérer être libre dans un monde où seules comptent les apparences ?

La guêpe – La marquise de M. qui employait ma mère, a fait mon apprentissage.  Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j’étais vouée par état au silence et à l’inaction, j’ai su en profiter pour observer et réfléchir. J’étudiais nos mœurs dans les romans, nos opinions dans les philosophes ; je cherchai même dans les moralistes les plus sévères ce qu’ils exigeaient de nous et je m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait penser et de ce qu’il fallait paraître.  Je n’avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus  grande partie de nos politiques doivent leur réputation. Tu jugera bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l’amour et ses plaisirs. Ma tête seule fermentait.  je ne désirais pas jouir, je voulais savoir.

Nina (admirative) Vous avez réussi à vous fondre dans la haute société parisienne alors que vous ne veniez pas du tout de ce milieu ?

La guêpe – Oui.  Je confesse maîtriser l’art de l’hypocrisie. Les salons parisiens, j’y suis comme un poisson dans l’eau. 

Nina  Moi je n’ai jamais pu me défaire de cette image de petite provinciale.  A Moscou, je me suis toujours sentie méprisée.  J’ai tout quitté, tout abandonné pour faire du théâtre. Rester dans une chambre d’hôtel pour étudier un rôle, rien ne me semblait plus merveilleux ! Mais tout s’est compliqué… Et quand je me suis retrouvée seule avec un enfant à élever… je vous laisse imaginer ce qu’en a pensé la bonne société… Et quand…     (elle lutte)  QUAND tout s’est effondré autour de moi, personne ne m’a soutenue, j’ai dû subir leur air apitoyé et leurs regards condescendants….

la guêpe (Triste) Quelle vie dramatique, on pourrait en faire une pièce de théâtre russe, …. Ils te regardent de haut, dis tu. (blasée, dure ) Sur les planches ou dans la bonne société, c’est du pareil au même , on doit tenir son rôle.

Nina – Mais ne craignez-vous pas que ce rôle finisse par vous échapper ? Dans quelques années, plus tôt que vous ne le pensez, le regard des hommes sur vous changera, et il vous sera bien difficile de leur plaire. Alors vous serez seule.

La guêpe (Amère) Ça n’arrivera jamais.  Même au bord de la mort, même vieille et rabougrie, je saurai encore comment séduire. (Gilda avec ses gants). Nous avons encore le temps avant de jouer cette scène là .(elle lui tend la main et Nina la prend)

 

La guêpe se rassoit ou autre. Nina va faire de même mais N°4 la retient :

Hamlet : ( jouant) “Voici la belle Ophélie … Nymphe, dans tes prières, souviens toi de tous mes péchés.”

Nina : (jouant le jeu souriante avec une courbette) “Mon cher seigneur !” ( et puis très quotidienne) “ ça va ? ”

Hamlet : “Bien, bien, bien …(1 temps) j’ai depuis peu, pourquoi je n’en sais rien, perdu toute ma gaieté. Quel chef d’oeuvre que l’homme ! Comme il est noble dans sa raison, comme il est résolu dans ses actes, angélique dans sa pensée, comme il ressemble à un Dieu! Et pourtant l’homme n’a pas de charme pour moi, non, et la femme non plus, bien que votre sourire semble insinuer le contraire.

L’auteur : Est-ce un prologue ?

Nina : (gentille) Cela est bref Monseigneur !

Hamlet : (geste brutal en 1er) puis : Comme l’amour d’une femme.

L’auteur : Allez enchaînons !

Hamlet : (dans le défi) “Allez préparez vous !”

Les comédiens se rassemblent dans un cercle de chaises (qu’il faut aller chercher)

(dans le même temps)  Hamlet  à N° 5 :  Dites ce texte à la façon dont je vous l’ai lu, d’une voix déliée et avec aisance. Dans la tempête, vous devez trouver et faire sentir une sorte de retenue qui l’adoucisse  .

N° 5 (agacée) : “Je vais faire de mon mieux! ” 

 

Il va y avoir une représentation au milieu de ce cercle jouée par Hamlet et Lady M ( sa mère) .

L’auteur au centre du cercle :  Comment va notre cousin Hamlet ?

Hamlet: (formidable ) Parfaitement bien, ma foi. Je vis de l’air du temps, comme le caméléon. Je me gave d’espérances, mais ce n’est pas ainsi que vous obtiendrez un chapon.

L’auteur  :  Allons, donnez nous un avant-goût de votre art, messieurs les comédiens

Hamlet:  Taratata! , Ils viennent voir la pièce, (courbette)  Prenez place. Je dois faire le fou. Quelle tirade, mon cher seigneur ?

L’auteur : Quelque chose de passionné.

Hamlet ( se lançant, rajustant sa veste)   Eh bien, mère, qu’y a-t-il?

Lady M ( se lançant elle aussi)Hamlet, tu as gravement offensé ton père.

HAMLET : Mère, vous avez gravement offensé mon père.

Lady M :  Allons, allons, vous répondez comme un fou.

Hamlet : Allez Allez, vous questionnez comme une dévergondée.

Lady M: Comment ! Que dis tu, Hamlet ?

Hamlet : Et bien, que me voulez vous ?

Lady M : Oubliez vous qui je suis ?

Hamlet : Oh non ! par la sainte croix! Vous êtes la reine; du frère de votre mari vous êtes la femme, Et , à mon grand regret, vous êtes ma mère …

L’auteur : par Dieu, Monseigneur, c’est fort bien dit, avec le ton qu’il faut, et avec mesure !

Hamlet , (la molestant ):  Non, non, asseyez-vous, vous ne bougerez pas,  que je n’aie présenté à vos yeux un miroir où vous pourrez plonger jusqu’au fond de vous.

Lady M : Que fais-tu? Tu ne vas pas me tuer? Ah, au secours, au secours!

Un des comédiens : Au secours, au secours! Votre noble fils est fou !

Hamlet : je ne suis fou que par vent du nord-nord-ouest. Quand le vent est au sud, je sais distinguer la poule de l’épervier.

L’auteur (  le calmant ) : Parle lui, Hamlet.

Hamlet : Madame, cessez de vous tordre les mains, asseyez vous, taisez vous, que je vous torde le coeur.

Un des comédiens ( expliquant le remariage de la reine, impro  ) : Là c’est le moment où … dans l’acte 3, scène 4 , dans l’histoire où la reine .. etc ….

Hamlet : Voyez ma mère , comme elle a l’air joyeux. Et pourtant il n’y a pas deux heures que mon père est mort.

Nina (gaffeuse) : Mais non, il y a deux fois deux mois, Monseigneur.

Hamlet (très ironique) : Y a-t-il si longtemps ? Alors que le diable prenne le deuil et moi je mettrai mes habits de martre.

Lady M : Qu’ai-je fait , pour que tu oses darder ta langue si durement contre moi ?

Hamlet : Ah! Êtes vous aveugle ? Honte, rougiras-tu ? Un roi de carnaval…  Un assassin, un rustre, un pantin! Un singe de nos rois,  un aigrefin du trône et du pouvoir, qui a saisi la précieuse couronne sur sa planche et qui l’a empochée!

Lady M:  Hamlet! Tais toi! Tu tournes mon regard vers le fond de mon âme et j’y vois de si noires taches, dont la teinte ne disparaîtra plus!

HAMLET Oui, et cela pour vivre dans la rance sueur d’un lit graisseux, et croupir dans le stupre, et bétifier , forniquer dans une bauge ordurière!

Lady M : Tais-toi, tais-toi !  Comme autant de poignards tes mots entrent dans mes oreilles. Tais-toi, mon tendre Hamlet. Tais-toi! Voilà bien ce que forge votre cerveau!  A inventer ces images sans corps. Moi … je voulais être Reine. Pour éloigner la peur de mon coeur. Et voila que de nouveau j’ai peur. ( elle se gratte les mains frénétiquement) Ah non ! Voilà encore une tâche. Encore plus rouge. Et encore du sang ! d’où vient tout ce sang ? A qui est-il ? Ah j’étouffe ! Allez, eau , lave moi tout ça et vite, eau, inonde mon corps, noie-le sous tes gifles !

L’auteur  (commentant,  aux comédiens ) :  le délire est habile ! 

HAMLET Le délire! Mon pouls est régulier autant que le vôtre, O mère, oh, pour l’amour de Dieu, sur votre âme n’étendez pas l’onguent flatteur de croire que ma folie parle, et non votre faute. Confessez-vous à Dieu, Regrettez ce qui fut …

Un comédien du cercle : “Il lui brise le coeur!”

Un autre comédien “ chut! ”

HAMLET … Et vivez plus pure avec l’autre. Bonne nuit! N’allez pas au lit de mon oncle, affectez la vertu que vous n’avez pas. Abstenez-vous ce soir, et cela vous rendra un peu plus aisée l’abstinence suivante. Et plus aisée encore celle qui la suivra.. Bonne nuit encore, bonne nuit.  ( à part) Je dois être cruel pour être juste. 

Lady M Que dois-je faire?

Hamlet  Oh, surtout pas ce que je vous ai dit! Que ce bouffi encore vous attire à sa couche, qu’il vous pince la joue lascivement, qu’il vous appelle Sa souris, et qu’avec deux baisers fétides ou le feu de ses doigts maudits dans votre cou, Il vous fasse tout avouer : que je ne suis pas vraiment fou, que ma folie n’est qu’une ruse. Il serait bon que vous le lui disiez, car vous qui n’êtes qu’une reine, belle, chaste, prudente, iriez-vous dérober de si précieux secrets à ce crapaud, ce chat, cette chauve-souris? Qui le ferait? Non, contre la raison, contre votre parole, ouvrez la cage  sur le toit de la maison, laissez les oiseaux fuir et, telle que le singe illustre, glissez-vous dans la cage, pour voir, et rompez-vous le cou.

Lady M ( elle touche la petite fiole à poison qu’elle porte à son cou)  N’en doute pas : si les mots sont le souffle et le souffle la vie, jamais ma vie ne soufflera un mot de ce que tu m’as dit.

L’auteur : (impatient)  C’est trop long!” … Allons Monsieur, allons faire une fin

Hamlet : Ma mère bonne nuit, et pour de bon.

L’auteur : (au public) Oui nous ferons ainsi. La folie des princes ne peut pas ne pas être surveillée.

Et il fait se rasseoir Lady M sur la chaise.

L’auteur ( à Lady M ) : Madame , que pensez vous de cette pièce ?

Lady M : La dame fait trop de serment, me semble-t-il.

Hamlet ( énigmatique) : Oh mais elle tiendra parole  ….   MUSIQUE RUSSE

Tous les acteurs à part Nina et l’auteur se reculent dans l’ombre.

Nina ( s’avançant, elle déclame ) : « Je suis solitaire. Une fois par siècle, j’ouvre la bouche pour parler, et ma voix monotone résonne dans ce vide et nul ne peut l’entendre… »                                                    C’est drôle j’ai cette réplique qui me trotte dans la tête, cela vient peut-être d’un texte à vous ?

L’auteur la regarde sans répondre

Nina, pensive : « Non ce n’est pas ça ! … »

A mesure, les autres comédiens se reculent vers l’ombre. il faudrait que seuls Nina et l’auteur restent  dans la lumière

L’auteur : « Avec un tel physique, avec une voix si merveilleuse, c’est péché de rester dans sa campagne, c’est un devoir pour vous de monter sur scène ! »

Nina : Oh c’est mon rêve !… Mais il ne se réalisera jamais.

L’auteur : pourquoi ?

Nina : « Lui, mon compagnon, il ne croyait pas au théâtre, il se moquait toujours de mes rêves, et, peu à peu, moi aussi, j’ai perdu la foi, et toute ma force d’âme est tombée…et puis, les soucis de l’amour, la jalousie, la peur, tout le temps, pour le petit… Je suis devenue mesquine, insignifiante, je jouais en dépit du bon sens…Je ne savais pas quoi faire de mes mains, je ne savais pas me tenir sur une scène, je ne maîtrisais pas ma voix. Vous ne comprenez pas ce que c’est que cet état, de sentir qu’on joue de façon monstrueuse. »

L’auteur : « Oh ne vous y trompez pas, je connais cela. Je suis solitaire, j’ai froid comme dans un souterrain, et, quoi que j’écrive, c’est toujours sec, rance, et noir. Et pourtant, jour et nuit, je suis habité par une pensée qui m’obsède : je dois écrire, je dois écrire, je dois… »

Nina : Vous en parlez comme d’une malédiction, mais je crois que pour celui qui a éprouvé les délices de la création, il n’existe pas d’autres joies…Ne devez-vous pas à l’inspiration et à l’acte de la création, des moments lumineux, sublimes ?

L’auteur : « Si. Quand j’écris, ça me plaît, mais… dès que c’est publié, je ne supporte plus, je vois déjà que ce n’est pas ça, que c’est une erreur, qu’il n’aurait pas fallu écrire ça du tout, et ça me dépite, et ça me fait mal au cœur…Votre pièce ne plait pas et vous redevenez banal, insignifiant, comme vous dites, le premier venu. Les actrices vous tournent le dos, votre présence les gêne. On en arrive à avoir peur du public, à craindre autant son indifférence que son hostilité, à quoi bon continuer … »

Nina : On n’est jamais satisfait de soi-même, c’est vrai, j’en ai fait l’expérience moi aussi. Souffrir de mes défauts, avoir conscience de mes insuffisances…

L’auteur : J’ai peine à croire ce que vous dites : une actrice telle que vous, jouer en dépit du bon sens ? Même le bruit de vos pas est merveilleux ! Peut-être n’aviez-vous simplement pas un texte à la hauteur de votre talent. Pour vous mettre en valeur, il faudrait des formes nouvelles, pas ce théâtre contemporain, où il n’y a que routine et préjugés.

Nina : Vous croyez ? Vous me flattez mais vous ne m’avez jamais vu jouer la moindre scène….

L’auteur : Nul besoin ! Vous avez du talent c’est certain, il faut persévérer. Quand vous avez dit cette réplique tout à l’heure, mes mains ont tremblé d’émotion. J’ai senti votre solitude, votre peur, elles étaient palpables… Quand je vous observe, ce n’est pas une femme que je voie, mais une âme, l’âme universelle.

Nina : Une âme universelle ? Pardonnez-moi, je ne comprends pas, je suis trop simple pour vous comprendre.

L’auteur : Qu’y a-t-il à comprendre ? Vous m’inspirez ! Cette réplique, ce pourrait être le point de départ d’une pièce, qui ne ressemblerait à aucune autre… tout ce déroulerait comme dans un rêve. Comme si nous rêvions à ce qui arrivera dans deux cent mille ans. Tous les êtres vivants auraient disparu, réduits en poussière et leurs âmes se seraient fondues en une seule, l’âme universelle : Vous.

Nina : Moi ?

L’auteur : Vous interprèteriez cette âme universelle, vous seriez seule en scène, du début jusqu’à la fin de la pièce, qu’en dites-vous ?

Nina : C’est difficile de jouer dans votre pièce. Il n’y a pas de personnages vivants. 

L’auteur : Des personnages vivants ! Il faut peindre la vie non pas telle qu’elle est, ni telle qu’elle doit  être, mais telle qu’elle se représente en rêve..

Nina : Dans votre pièce  il y a peu d’action, c’est juste un texte à dire. Et, dans une pièce, à mon avis, il doit absolument y avoir de l’amour…. (elle lui caresse la joue tendrement, et se détourne)

L’auteur : Vous les actrices, vous me faites rire, vous êtes des papillons chronophages, des vampires inconstants, vous exigez l’Amour, pas moins, comme vous exigez la lumière. Vous vous chauffez les ailes  sur les braises mourantes  de nos désillusions, à nous pauvre auteur .  Vous y croyez  vous, encore, à l’amour ? »

 Nina : (douloureuse avec un pauvre sourire) «  Chuuuut !…   Adieu. Quand je serai devenue une grande actrice, venez me voir, un jour. Promis ? …  et maintenant… Il est déjà tard .   Mais que font les autres ? »    MUSIQUE CHOPIN

Tous les comédiens reviennent,  silencieux (Contre jour et échiquier)1 temps .

Puis seules les silhouettes de Don Juan et d’Hamlet s’allument :

Don Juan  : Me reconnaissez-vous ?

Hamlet : Parfaitement,  vous êtes un maquereau.

DJ: ( amusé) Certes non !

Hamlet : Alors je voudrais que vous fussiez aussi honnête.

DJ : Honnête??

Hamlet :  Et oui Monsieur. Un honnête homme au train où va le monde, on en trouve un sur dix mille.

Don Juan : Et le panache ?

Hamlet : j’ai passé ce cap de l’adolescence ! j’ai un objectif à atteindre

DJ : Oh et quel est il ?

Hamlet : je dois venger l’honneur de ma famille, c’est une mission sacrée !

DJ : Jeune prétentieux, vous vous croyez donc au-dessus des autres ?

Hamlet : Non, mais je suis celui qui révélera la vérité au monde! Tel est mon destin!

DJ : Quoi de plus facile quand on choisit un chemin glissant que de prétendre qu’on y était destiné. L’homme dont le destin est de se noyer se noiera dans un verre d’eau.

Hamlet ( Soudain les yeux dans le vide, se prenant la tête )  : “Qu ‘avez vous vous même à tenir vos yeux fixés sur le vide et à parler à l’air immatériel”

DJ : Ouah (X3) c’est très bon ça! un peu agressif mais très inspiré, on croirait que tu parles à des fantômes! ça fait froid dans le dos! Pourquoi tant de haine?

Hamlet : Mon cher , permettez-moi de vous dire un mot. Je ne saurai …

Don juan : ( avec préciosité ) “Quoi, Monseigneur ? ”

Hamlet :  …vous faire une réponse sensée, car j’ai l’esprit dérangé.

DJ :  Ah j’aime ça, le double sens, le fou n’est jamais celui qu’on croit;  quel esprit, vraiment vous m’épatez!

Hamlet : Croyez-moi, si vous regardiez la noirceur de mon âme vous y verriez des ténèbres insondables. je ne serai pas en paix tant que le sang ne sera pas versé!

DJ : Vous ouvrez l’abîme quand je veux le refermer. Oubliez la mort! Je tiens à rester en vie moi, en chair et en os…surtout en chair! Vous n’ avez jamais songé à vous trouver une petite femme pour vous réconforter un peu les nuits de solitude?

Hamlet : Les femmes ne font que vous perdre davantage les unes après les autres. Faiblesse, tu es femme ! Vous et vos barbouillages, Dieu vous a donné un visage et vous vous en faites un autre, vous vous trémoussez, vous trottinez, vous zézayer, vous êtes impudique sous une feinte candeur. Allez, c’est fini pour moi, tout cela m’a rendu fou. Elles m’ont toutes trompées et trahies. Même ma mère. Vous le croyez cela. Ma propre mère…Ma propre mère…

DJ : Maman! Vous voulez vraiment nous abattre avec ce sujet ! Je pourrais verser des larmes et du sang, mais je préfère noyer tout ça dans l’oubli. Il faut aller de l’avant mon vieux, vous devriez vous faire aider!

Hamlet : Voyez donc dans quel mépris vous me tenez ! Vous voudriez jouer de moi, vous donner l’air de connaitre mes touches, arracher le cœur même de mon secret, faire chanter la plus basse et la plus aiguë de mes notes. Croyez-vous, par Dieu, que je sois plus simple qu’une flûte ? prenez moi pour l’instrument qu’il vous plait, vous aurez beau tracasser toutes mes cordes, vous ne tirerez pas un son de moi.

DJ : (au public ); oui un peu dérangé tout de même ce garçon…Bon écoutez je sais pas, prenez un peu de congé, quelques jours de vacances. Qui sait ! On se croisera peut-être, mais j’espère, pas sur le bord du gouffre….   ***PIANO GOUTTE

Leurs silhouettes s’éteignent

L’auteur (s’avançant) : J’aime bien m’asseoir sur un banc dans le parc et regarder le ciel pendant des heures.  Petit, j’inquiétais ma mère, je me faisais punir à l’école car j’aimais changer la disposition des tables de la classe:  Je trouvais que c’était mieux comme ça. A la maison je faisais pareil, je déplaçais et jetais tout ce que je n’aimais pas.                               Petit, des amis m’avaient invité à jouer aux pirates : Quelle horreur ! chacun parlait et bougeait de son coté, moi je voulais tout contrôler. C’est comme cela que je me suis mis à écrire des nouvelles où je cherchais à rendre mes personnages les plus réels possible. Ce monde m’appartenait dans mon imagination et j’appartenais enfin à ce monde ci.

Lady M ( se glissant dans son dos comme un chat) : N’est-ce pas sublime ce plaisir infini du pouvoir ?! ….. Moi , petite, qui n’était ni douce, ni jolie, ni coquette, je fis le désespoir de ma mère : J’étais indocile et sournoise. Ma mère me châtiât à maintes reprises pour me corriger. Cela ne fit que m’endurcir.                                                                                                            ( s’adressant au public ) Très tôt, je fus attirée par la manipulation des armes. Je m’entourais aussi de personnes au savoir ésotérique pour enrichir mes connaissances sur les poisons et  la cueillette de plantes toxiques dans la forêt. Je m’informais aussi par des livres dérobés chez les chanoines. Un jour, je pus assister cachée  à une messe noire et cela me fascina. Je renouvellais ces sorties secrètes par la suite.                                                                                     Quant à mon père, celui-ci désirait un fils, et bien je pris sa place.  J’appris très jeune à le manipuler :  Il fallait briller à ses yeux pour qu’il m’aime. Les enfants de mon âge, à la lisière de la forêt,  jouaient à colin maillard ou à cache cache. Moi , aussi perfide que je puisse être, j’entrainai l’enfant aux yeux bandés, loin de tous , afin qu’il se perde ou  tombe dans une fosse remplie de boue.  (Elle rigole )

Chuchotements outrés des ombres (« Mauvaise, perfide, méchante !!!)

LadyM ( à  l’auteur) : Pourtant L’auteur, ton ambition est grande mais tu aimes la facilité. Vas y mon tigre ! Pour arriver au but, il faut les anéantir ces obstacles qui t’empêchent d’avancer, qui te retiennent, qui te forcent, qui te contraignent à rester immobile, figé. Ecoute la voix de ton désir !

Hamlet :(ironique, se retournant lentement)  Moi, je pourrais être enfermé dans la coque d’une noisette, et me tenir pour le Roi d’un espace sans limites. …Mais je fais de mauvais rêves.

L’auteur : Des rêves, c’est bien cela l’ambition. Car toute sa substance n’est jamais que l’ombre d’un rêve.

Hamlet : Le rêve lui-même n’est qu’une ombre.

Lady M: (les oubliant, comme en transe) Forces obscures de la forêt, brutalité sans remords de la nature, associez vous à l’intelligence meurtrière de la femme, venez en moi, entrez. Que mon sexe soit cousu et muet jusqu’à l’heure du triomphe, que tout mes orifices fassent barrage à la pitié. Prenez possession de mes seins, chargez mon lait de poison, fermez mes yeux à la tendresse.                                                                                                                                         (à l’auteur) Et toi, L’auteur , souviens-en :  « Que derrière l’apparence de cette fleur innocente grouillent les serpents de la gorgone, ce n’est que pour celui qui n’a jamais vécu, que la mort est redoutable ! ” *** FOUDRE ORAGE BACH

Coup de tonnerre orage et pluie ( à partir de là les personnages s’incarnent de plus en plus et il n’y a plus de commentaires décalés. Lady M les a comme ensorcelé) La pluie continue à tomber… les personnages fuient la pluie pour l’ombre. N2 saute dans les flaques ses chaussures à la main.

Don juan : Je suis entré par le cimetière. La lune montrait sa face noire. Un silence de chien qui hurle à la mort. Lorsque j’ai passé la grille de fer, les chouettes ont lancé le signal de l’intrus, les rats ont couru se cacher sous les tombes, les vers luisants se sont mis en veilleuse, je crois que je les avais un dérangés. J’étais épié par mille regards dans l’ombre, c’est si vivant, un cimetière. Etrange de penser que dans le sol, le sol que nous foulons, il y a de la poussière humaine, d’anciens cœurs qui ont battu, que ce qui a été chair, sang, ventre, sperme est redevenu terre. Etrange voyage. A faire douter de la mort. Ou de la vie.

Nina et La guêpe s’avancent, elles se rajustent outrageusement  ( au niveau mise en scène c’est un procès : les chaises sont changées de place / lady M est la juge / L’auteur et Hamlet le jury)

Lady M ( les dénonçant, assise ) “Que faites-vous ? Vous vous ajustez, vous faites les coquettes : voudriez-vous plaire ? “

La guêpe : Eh bien, Don Juan, en quoi êtes-vous grimé ?

DON JUAN. En vil séducteur.


Nina  C’est parfaitement réussi. Et si l’on ôte le masque ?

DON JUAN. C’est encore plus ressemblant derrière. On dirait un vrai.

La guêpe : Merveilleux. Quelle conscience ! Quel soin dans la grimace ! Nous comptons sur vous pour nous tromper le moins possible. J’ai eu du mal à te reconnaître. Mais  tu ne peux pas m’ avoir oubliée ?

      DJ – Je n’ai aucun souvenir de vous, mais je devine les âmes d’après les figures.

      Guêpe  – Pour moi, tu  n’es pas parti il y a vingt ans, ni même hier, mais ce matin ! Mon corps  est encore las, les draps sont chauds !

       Nina –Moi aussi, je vous ai aimé. Mais à quel Don Juan ai-je affaire… celui qui m’a aimée ou celui qui m’a quittée?

       DJ ( Las) C’est le même. … Il ne te viendrait pas à l’idée qu’un séducteur cherche quelque chose qu’il a définitivement obtenu une fois que tu t’es bêtement laissé séduire ? Il n’y a pas de raison de rester : la viande est morte.

        Guêpe :  Dépravé !  Je ne tomberais plus dans tes pièges, je ne suis plus cette jeune campagnarde qui débarquait à Paris. J’ai fait du chemin depuis.

DJ – Je te trouve bien amère, j’ai désiré cette jeune femme innocente et pure mais je ne la retrouve pas.

Nina  – Scélérat ! Tu n’as jamais aimé personne. Que cherches-tu à la fin ?

Don Juan – Pourquoi vous êtes-vous mis en tête que je cherchais quelque chose ? Je ne cherche rien, je prends, je cueille les pommes sur l’arbre et je les croque. Et puis je recommence parce que j’ai faim. … Les hommes m’envient parce que je fais ce qu’ils n’osent pas faire, et les femmes m’en veulent de ce que je leur donne du plaisir à toutes. A toutes !

Guêpe  – Les hommes vous haïssent parce que vous volez leurs épouses et leurs sœurs, et les femmes parce que vous les abandonnez après leur avoir fait les plus douces promesses. Ni un saint, ni un héros, Don Juan, ne vous leurrez pas, mais un escroc, un petit escroc de l’amour.

Nina  – Les êtres humains ne sont pas des pommes que l’on cueille sur la branche. Quand on les croque, ça leur fait mal. Si vous étiez fidèle…

Don Juan – Fidèle ! La liberté dans une petite cage : on appelle cela la fidélité.

Nina  – Votre liberté ! Votre droit de trahir, oui !

Don Juan – Trahison ! Trahison ! Vous avez toutes cette écume à la bouche. Mais c’est vous, femmes, qui vous montrez les plus fausses. Il faut que l’on vous jure des engagements éternels pour que vous nous rendiez cinq minutes de plaisir.

Nina – Vous souillez tout, les femmes, les mots ! Vous n’êtes bon que pour le mal.

Don Juan – Pourquoi m’avez-vous donc aimée ? Vous auriez pu mieux choisir, vous qui êtes si « bonne », si « gentille » …

Nina – (butée et mauvaise subitement) Je ne suis ni bonne ni gentille. Et je ne l’ai jamais été.

Guêpe  – Oh, je vous vois venir avec votre gros orgueil d’homme. « Les femmes sont faibles. » Erreur, Don Juan, la faiblesse est justement la plus puissante de leurs ressources. C’est une arme invisible qu’aucun homme ne suspecte. Vous êtes tellement grossiers.

Nina – Voyez-vous, Don Juan, vous êtes celui qui fait le mal par peur d’en recevoir. Pour vous, aimer, ce serait toujours trop aimer…

DJ- Vous n’avez que ce mot à la bouche, l’Amour, comme si ça pouvait durer toujours! nous sommes un peu vaccinés maintenant! et vous n’êtes plus des oies blanches!

Guêpe – Les oies blanches tu les décapite, moi, je suis faucon. Lorsque tu es parti, je ne me suis pas mouchée, non, j’ai réfléchi, puis j’ai appris, règle par règle, ton catéchisme. J’ai appris qu’en amour il n’y avait pas d’amour, mais des vainqueurs et des vaincus… J’ai appris que la victoire n’avait d’autre but que la victoire, qu’il n’y avait pas d’après. J’ai appris que le plaisir est fade s’il n’a pas le goût du mal, que la caresse toujours préfigure la gifle et le baiser ébauche la morsure. J’ai appris qu’on attrape les hommes par la queue mais qu’on les saigne au coeur… Tout cela, je te le dois, c’est ma fidélité. Viens.

DJ – Trop tard je suis guéri.

Guêpe – Tu reviendras, le poisson se noie s’il sort de l’eau. En t’attendant sois tranquille, je ferai le mal pour deux. Je tromperai, je déniaiserai, j’éventrerai tout ce qui restera d’innocence. Jusqu’à ce que j’arrive nue chez le diable, mon corps couvert de sa vraie gloire, la petite vérole.

 DJ – La petite vérole ? Je ne vous croyais pas  si modeste.

Guêpe  –  Au diable !

DJ-  Soit!  j’y vais de ce pas!

L’auteur : (l’auteur se lève et applaudit) : Bien, bien. Reprenez à la réplique “ la viande est  morte! … et refaite le tout avec plus d’entrain.

G et  Nina ensemble : (Impro, très en colères) Nous, répéter …  répéter , refaire , vous croyez qu’on joue la comédie, qu’on fait semblant , (seule NINA) et notre vérité alors  ?!

Hamlet : Mon carnet ! (Il écrit sur le rideau de scène) Il est bon que j’y inscrive qu’on peut sourire et toujours sourire et être un traitre !

Lady M : (essuyant une des larmes de Nina) Regardez, ce sont de vraies larmes ?!! (commentaires des autres)

Hamlet :(suspicieux)  …  Et depuis quand,  vous connaissez -vous tous les trois  ?

Don juan : Je suis sans âge, le séducteur que je suis, traverse toutes les époques

 La guêpe : Mais enfin, QUI sommes-nous ? ( à l’auteur presque suppliante) QUI sommes-nous, vous le savez vous ?

L’auteur ( hésitant) Oui,…  Vous n’êtes pas des comédiens .

Nina : (véhémente) Non! C’est faux, je suis une vraie comédienne !

Lady M (au public) : Si nous ne sommes pas des comédiens, vous n’êtes que des figurants !

***LEMONADE DUTHERMEL                  / ils rient et finissent en gémissant …vers le sol

La guêpe : Je me souviens.

Je me souviens de cette forêt dans laquelle j’aimais me réfugier petite.

J’y cherchais un trésor que je n’ai jamais trouvé mais j’ai longtemps cru à son existence. 

Et j’ai froid, au corps et à l’âme. Autour de moi il n’y a personne, il n’y a jamais eu personne. (elle va à cour/ la musique s’arrête)

Enfant, j’avais cette conviction que la vie ne pouvait pas être aussi ennuyeuse et triste. 

Mes parents travaillaient comme des bêtes dans la ferme familiale, harassés, épuisés par les moissons, l’élevage et tant de choses encore…

Mon père, il n’aime rien et surtout il n’aime pas vivre. Ma mère. Je ne sais pas. Elle est comme une inconnue, une étrangère. Nous les enfants, nous avons de quoi manger et nous vêtir, ils ne nous adressent pas la parole étant eux-mêmes dans l’urgence de faire et non pas de parler ou de penser. Nous sommes en quelque sorte des enfants sauvages habitués à grandir seuls.

(pause)

Une nuit tout bascula : un gigantesque incendie ravagea la ferme.

Au petit matin nous n’avions plus rien, c’était la faillite : 

Lors d’une foire, un riche bourgeois se présenta à mes parents et il fut décidé de me vendre et que je devienne sa femme.

J’avais tout juste 15 ans et me retrouvais dans le lit d’un vieillard !!

C’était le prix à payer pour mettre ma famille à l’abri du besoin.

Je ne leur ai jamais pardonné : au fond de moi hurle encore mon enfance et mon innocence assassinée. 

Ce hurlement ne cessera jamais. Je hurlerai et je me battrais jusqu’au jour de ma mort.

(grande pause, elle va au sol)

J’ai grandi dans le froid. Seuls les chats viennent vers moi : ce sont mes amis. Pas de mots non, juste une présence, juste une présence et cela me suffit. Et aussi j’allais oublier leur regard plein d’amour. (Elle se relève)

Et c’est tout… voilà mon enfance. 

Nina rejoint la guêpe , regards, elles partent vers jardin.

 

Hamlet ( à Nina) Madame, puis-je m’étendre entre vos genoux ?

Nina: Non …

Tous lui soufflent : “Monseigneur! ”

Hamlet : je voulais dire ma tête sur vos genoux ?

Nina : “Oui, ….Monseigneur.”

Hamlet : Pensiez-vous que j’avais l’idée de choses vilaines ?

Nina : Je ne pense rien, Monseigneur.

Hamlet : Rien ? C’est une belle pensée à mettre entre les jambes des pucelles.

Nina Quoi, Monseigneur ?

Hamlet : Rien.

Nina : Vous êtes gai monseigneur.

Hamlet : Oh, par Dieu, le roi des farceurs! Qu’a-t-on de mieux à faire que d’être gai ? Etes-vous vertueuse ?

Nina : Monseigneur ?

Hamlet : êtes-vous belle ?

L’auteur (souffle son texte à Nina) “Que votre seigneurie veut-elle dire ?”

Nina ( perturbée) : “Que votre seigneurie veut-elle dire ?”

Hamlet : Que si vous êtes vertueuse et que si vous êtes belle, votre vertu se devrait de mieux tenir à l’écart votre beauté ! ( soudain très agressif) Va-t-en dans un couvent ! Si tu te maries, je veux te donner pour dot cette peste: que, serais tu aussi chaste que la glace, aussi pure que la neige, tu n’échapperas pas à la calomnie… ou si tu tiens absolument au mariage,  épouse un sot. Car les sages savent trop bien quelle sorte de monstre vous faites d’eux. (criant) Au couvent, va-t-en au couvent !

Nina est protégée alors par Don Juan (« il est fou ! ») qui la retire des griffes d’Hamlet alors que l’auteur tente de faire entendre raison à Hamlet.

L’auteur : Mon cher seigneur , permettez-moi de vous dire un mot.

Hamlet Toute une histoire monsieur !

L’auteur :  Mon pauvre ami, ce n’est pas Ophélie, tu es perdu, calme toi “

***PIANO GOUTTE

Nina commence, elle expie et se traine ( elle parle à son enfant, elle se berce)

Pauvre chérie, tu me regardes toute éperdue avec tes grands beaux yeux… Tu te demandes où tu es ! Nous sommes sur une scène, tu sais ce que c’est qu’une scène ? Tu vois bien… C’est un endroit où on joue à jouer pour de vrai. On joue la comédie. Nous allons jouer la comédie. Pour de vrai, tu sais. Toi aussi. Ce matin-là au bord du bassin, tu étais tout heureuse dans le soleil. Tu ne voyais pas les grandes fleurs. Et tu me tendais “ les pitites, les pitites” en riant, en riant !

Oh ! ma chérie, ma chérie, quelle vilaine comédie tu vas jouer ! Quelle horrible chose a-t-on imaginé pour toi ! Un jardin… Un bassin… Regarde, ils sont là… Tu me demandes où ? Ici, ici, au milieu de la scène… Mais cette fois ce seront des décors. Le malheur, ma jolie, c’est que tout est décor, rien n’est vrai ici…

Imagine … A la scène, tout sera en carton peint : la pierre tout autour sera de carton, l’eau sera de carton, les plantes aussi…

Mais peut-être un bassin en carton peint te plairait-il davantage qu’un bassin véritable, ma chérie pour pouvoir y jouer… Mais non,ce sera un jeu pour les autres,  non pas pour toi par malheur, ma chérie, qui jouera véritablement au bord d’un bassin véritable, un grand bassin vert, ombragé de bambous, avec tous les petits canards qui nagent dessus, déplaçant l’ombre… Tu voudras attraper un des petits canards, et alors… Non, ma petite Chayka, maman ne te surveillait pas! L’instant d’avant,  tu me serrais de toute la force de tes petits bras tendres et innocents ! et non! … maman ne te surveillait pas ! …  *** STOP PIANO GOUTTE

(elle se relève) Et depuis je suis la proie de mes papillons noirs…

le Noir lui mange le visage. *** LUX AETERNA

Lady M se place au centre.

Lady M : Je suis Lady M , reine d’Ecosse. Contemplez moi, ma vie n’est plus qu’une ombre, un siècle est passé  et déjà je ne suis plus. Rêvant de gloire et d’honneur, mon ambition fut immense et de par ma  faute un roi en mourut.

Mes cheveux sont bleus, mes mains rouges. Est-ce là le signe des assassins?    Vivre heureux, comment faire ? Où regarder ? qui convaincre ?                              Quoi ! Déja ma vie est finie . ( elle sort sa petite fiole de poison ) Où était la joie tant attendue? Non, je ne suis pas éternelle, pas même un peu. Et peut-être pour la dernière fois les rayons du ciel effleurent ma peau brûlante.

Douce caresse, pourquoi n’es-tu pas la caresse d’un homme qui m’aime , qui me prenne, qui m’adore, qui soit toute ma vie , mon éternité, ma mort ?

( elle se gratte frénétiquement ) Ah mon corps, comme tu es vide et creux . Là, sur mes genoux, entre mes seins ,sur mon ventre , quel est tout ce liquide chaud et rouge ? Lave, eau, lave moi, lave, rouge, mes cheveux bleus, lave les mains des assassins, lave …( elle va boire)

Don Juan s’est approché doucement (*** CLAIR DE LUNE : FREEZE SUR LEURS 2 MAINS EN L’AIR) et lui enlève la fiole. Il la boit en entier et tendrement prend les mains de lady M.

 

(quand ils descendent au sol) Hamlet : Ce n’est qu’un jeu , ils s’empoisonnent pour rire  ( S’enfonçant un peu plus dans la folie) Quel est le titre de leur pièce ?

        

Don juan pose un jeu de tarot devant lady M : elle tire une carte : la Mort , puis à son  tour il tire le pendu . Et ils continuent à se tirer les cartes….

Hamlet (pendant leur tirage) : Attention aux esprits que vous convoquez ! Ils pourraient un jour réclamer  justice.

Lady M : (l’ignorant, pensive, à Don juan ) “Pourquoi Aucune ne compte vraiment ?”

Don Juan : Mes heures de chasse et d’amour sont les étoiles de cette nuit ; Seulement, n’ayant pas de mémoire, je dis que le bonheur écrit à l’encre blanche sur des pages blanches.

J’ai vécu ce rêve que l’homme appelle amour…je ne me souviens que des attentes, et des rendez vous où on ne vint pas. Les songes de mes nuits ne sont pas pleins des visages que j’ai vu mais des visages qui m’ont échappés. J’ai tout à faire, je n’ai rien fait. Tout commence et tout finit. A quoi bon avoir vécu si je ne me souviens pas, c’est comme si je n’avais pas vécu. Pourquoi me mirer dans mon passé si je n’y vois rien ? …

Lady M : ( se parlant à elle-même, à la petite fille qu’elle a été ) Ne t’endors pas, Mady, pourquoi dors tu ? Ne dors pas, ne te berce pas de mensonges.( 1 temps, froide )   Ma mère ne m’aimait pas .

Don Juan : Moi non plus…   Je n’aime pas beaucoup m’apitoyer sur moi même.

Mon destin  m’a fait  naître avec un frère jumeau décédé avant ses sept ans.  Il a disparu et a emporté avec lui toute la lumière, nous laissant seuls ma mère et moi. Elle était avec lui en pensée, m’appellait par son prénom, en faisait son idole. Mais qui étais-je moi? une plume prête à s’envoler ? le pâle reflet d’un autre ?  Je devais rester dans l’ombre, me contenter du peu que j’avais et respecter sa souffrance. Et la mienne alors ! Ha !

Et puis le temps a passé, l’enfant de 6 ans s’est tu, il a appris à puiser dans ses rêves la force de vivre, la force de plaire ailleurs et d’être aimé.  L’amour d’une mère ne se quémande pas, l’amour des femmes  se prend!  

Lady M : (lui prenant la main) Où et quand enfin trouver le repos ? et ce mot même a-t-il un sens ?

Don juan : Laissez chère amie, l’heure est venue de laisser tomber le masque  et de faire savoir un peu qui je suis. Je suis cet homme qui fuit sans jamais se retourner, poursuivi par le spectre de la mort. Seul le regard d’ une femme sur moi me rend vivant. Sans cela je disparais. Je cherche des preuves que j’existe. Tout ce qui ne me transporte pas, me tue. Tout ce qui n’est pas l’amour se passe pour moi dans un autre monde, le monde des fantômes. Tout ce qui n’est pas l’amour se passe pour moi en rêve, et dans un rêve hideux. Entre une heure d’amour et une autre heure d’amour, je fais celui qui vit, je m’avance comme un spectre, si on ne me soutenait pas je tomberais. Je ne redeviens un homme que lorsque des bras me serrent ; lorsqu’ils se desserrent je me refais spectre à nouveau .

 

Silence . Tous se rapproche,  sauf L’auteur qui est à l’écart et les regarde ( ou pas)

La guêpe ( à Don juan) : Notre désir est sans remède ( à propos de leur insoumission errante à tous )

Hamlet : Notre vie n’est qu’une longue errance , un voyage immobile sans cesse recommencé.

La guêpe : C’est donc bien ça… Nous ne sommes ni des comédiens , ni des personnes…  (L’annonçant) Nous sommes des Personnages.

1 temps ils se regardent tous , sauf l’auteur qui semble absent (petite action triviale?)

Nina:(dans un sursaut de révolte )  Non,  je suis une actrice, non ce n’est pas ça…. je suis une mouette ”

La guêpe : ( à Nina, doucement) Oui des personnages …sans auteur…

Don Juan : Des créatures sans créateur, qui s’agitent …

Lady M : Dans un bocal !!? … 

La guêpe (désespoir) « A force de ne plus être joués, on a perdu notre mémoire. On cherche nos souvenirs .  

Nina : On ne peut plus s’incarner puisque plus personne ne nous jouent !”

Lady M  – Au moins, on est libres.

Don Juan : Oui… mais il va falloir trouver par nous-mêmes une raison d’exister si on veut rester en vie.

L’auteur (ricanant ): Vous n’êtes pas libre, vous êtes dans un livre ou dans ma tête, peu importe ! vous n’existez même pas !  Des fantômes quoi ! Lui l’homme à femme, l’autre là, l’agité du Danemark , … elle, l’infidèle, échappée d’un Feydeau ou d’un Laclos, l’autre qui se prend pour une mouette et la dernière, et non la moindre, qui me fait froid dans le dos ! Regardez , je vais vous le démontrer: je sors de scène 10 secondes et vous resterez figés comme des pantins désarticulés et inutiles . 1 2 3 c’est parti !

(et il joint le geste à la parole)  il sort , ombres, revient , lumière , il sort et joue de ça , en chantonnant , ombres, lumière il revient enfin. Les 3 fois, comme des marionnettes, les acteurs se figent, ou luttent, pour finir par tomber au sol.

Gémissements, ils rampent:

Hamlet Ces pitreries obligées sont à la limite de mes forces. Qu’avez-vous fait de la fortune mes bons amis, pour qu’elle nousenvoie ici en prison ?

Nina (X3) “En prison monseigneur ?” (elle se prend la tête comme si elle voulait en extirper cet automatisme )

Hamlet Le Danemark est une prison

L’auteur (Fataliste) : Alors le monde en est une!

Hamlet : Une fameuse, avec beaucoup de cellules, de quartiers et de cachots … et nous ….

La guêpe : (Véhémente)  Nous,  nous sommes trop vrais, pour être réels ! (au public) : ce qui pour vous est un jeu, est notre unique réalité ! et nous voulons vivre !

Hamlet :  Nous récitons des drames et des comédies

Nina  C’est de la vie, Monsieur, et de la souffrance

L’auteur : C’est possible mais c’est injouable …et puis ce sont les acteurs qui vous donnent un corps et une figure, une voix et des gestes. Vous êtes des déclics, des déclencheurs. Je sais bien que vous rêvez tous chacun, d’étaler votre vie secrète . Et bien c’est fait ! Modérez vous maintenant, un peu d’humilité

Lady M : Ma douleur n’est pas feinte , je suis bien vivante   !

Don juan :  Nous ne changeons pas, nous ! nous ne pouvons pas changer et devenir “autres”, nous sommes ce que nous sommes à jamais.

La guêpe : Un personnage, c’est toujours “ quelqu’un “ alors qu’un homme, en général, peut n’être “ personne” . 

Nina Que ferez-vous sans nous , nous qui sommes votre inspiration ?

L’auteur : On dit que pour écrire une bonne pièce, il suffit de laisser parler ses personnages, mais, vous, vous êtes totalement inconsistants ! Ça suffit!  Je ne peux pas vous laisser palabrer sans fin ! ( s’adressant au régisseur et saisissant le rideau ) Allez rideau !

Hamlet se dresse et gronde :

Hamlet : Je suis Hamlet, né au château d’Elseneur, je suis fils unique et le chouchou de ma mère, la Reine. Elle cède à tous mes caprices : moi qui me déguise pour échapper à l’ennui.  Je me cache,  je vagabonde dans la campagne riche et luxuriante, AH ! Plonger mes mains dans cette terre ou dans les lacs , rêver sous  le frêne à des voyages lointains sous des  tropiques inconnues, partir en mer , prendre un bateau *** HAMLET MEURTRE                     ou prendre l’apparence d’un cerf dans la forêt , une nuit de pleine lune… (il lance un caillou)  Voici mon petit monde (ferme sa main)…  (1 temps )                                                                                                                                        Je chasse de ma mémoire tous les futiles souvenirs.                                                                                         (le ton change de façon radicale, il est glacial )  Je suis Hamlet , et personne ne m’a jamais  protégé face au Roi du Danemark , mon père . Dans ce château austère, tous les jours plus vide, je suis l’héritier et son prisonnier. Prisonnier de mon titre, de ces cérémonies du pouvoir,  de cette discipline militaire, esclave de toutes ces règles absurdes  que s’acharnent à m’inculquer mes précepteurs. Mais moi je refuse de rentrer dans ce moule d’intrigues et de mensonges. Alors, si je suis trop rêveur, on me réprimande, si je me trompe, on me rabaisse, si je ne suis pas assez cruel , c’est que je ne suis pas à la hauteur, à la hauteur des espérances du Roi, que rien ni aucune tentative de son fils, ne peut satisfaire. …  Car mon père, je ne te sert à rien ! Je te hais .                                                                                                             Et pourtant  je voulais simplement que tu m’aimes …  (a l’auteur)                                                                              Alors maintenant que pourrais je craindre ? Je me soucie de ma vie comme d’une guigne !  Voici l’heure sinistre de la nuit, l’heure des tombes qui s’ouvrent, celle où l’enfer souffle au-dehors sa peste sur le monde. (Lady M se glisse vers lui et lui donne un poignard) Maintenant je pourrais boire le sang chaud et faire ce travail funeste que le jour frissonnait de voir.                                                                                                                                          (jetant violemment l’auteur au sol) On récolte ce que l’on sème …                                                Toi , l’écrivaillon, l’instrument de ma création, tu vas mourir , mais nous, tes créatures, nous sommes immortelles … et si c’est le seul moyen pour sortir de ta tête!

il le frappe plusieurs fois avec le poignard. 2X et 1X la dernière a 2 mains. A chaque fois c’est comme si chaque personnage prenait un coup de poignard, ils crient… L’auteur tombe, mort. Les personnages commencent à s’effacer lentement. Pour eux la boucle est bouclée. On ne peut pas tuer un fantôme.

Lady M :« Je marche dans la nuit noire »

La guêpe : « Non ! on a encore le temps »

Nina : « Aidez-moi je vais piétiner ma vie, je vais la gâcher »

Don juan : « Diable tout est fini ! »

Hamlet : “Vous auriez pu trouver une rime “ sera la dernière chose que Hamlet dit avant de disparaître avec tous les autres. Le fondu au noir se fera très lentement sur leurs visages. Musique. On entendra peut être un sanglot de femme ou un juron d’homme.  NOIR.    *** Laisser HAMLET MEURTRE jusqu’au bout

La scène se rallume doucement *** LA NUIT ILLUSIONIST

l’auteur est assis contre le rideau de scène.  Il se lève : Nos divertissements sont finis. Ces acteurs, j’eus soin de le dire, étaient tous des esprits : ils se sont dissipés dans l’air, dans l’air subtil.                                                   (Il commence à ranger les chaises ou les accessoires oubliés) Et je suis là, dans ce théâtre qui n’a jamais rouvert , à jouer cette comédie vide de l’existence,  qui ne conclut pas et ne peut jamais conclure, car si demain elle concluait , adieu, tout serait fini …     sans doute suis-je fou ? mais que par vent de nord-nord-ouest !  Quand le vent est au Sud , je sais distinguer la poule de l’épervier . 

L’auteur revient s’asseoir dans le public. On entend la même musique qu’en début spectacle, on est en boucle

Hamlet rentre en scène. Il monologue.  à « …  rêver peut-être !!! » CUT NOIR                          

                                       FIN